Les paramètres financiers et juridiques des contrats commerciaux sont arrêtés par les parties en fonction du contexte économique existant au moment de leur conclusion. Ces circonstances initiales peuvent toutefois évoluer et mener à un déséquilibre contractuel. C’est la raison pour laquelle, en vue de pérenniser leurs relations et préserver un équilibre contractuel, il est recommandé pour les parties de prévoir, en amont, les garde-fous nécessaires au maintien de ce dernier.
Parmi les changements de circonstances pouvant substantiellement affecter les relations et mettre en péril l’équilibre nécessaire au maintien des rapports contractuels, il est permis de citer, à titre d’exemple, les conditions et modalités de fixation des prix. En effet, la détermination des prix est généralement basée sur un certain nombre de facteurs – économiques et conjoncturels – qui peuvent subir des variations considérables, notamment en période de crise.
Ainsi, l’augmentation du prix des matières premières ou la fermeture forcée de structures de production sont autant de facteurs susceptibles d’engendrer une variation des prix contractuels. A cet égard, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a récemment engendré d’importantes difficultés d’approvisionnement, ainsi qu’une forte hausse du prix de l’énergie et de certaines matières premières comme le blé.
Par ailleurs, les mesures restrictives toujours en place en vue de contrôler la pandémie de Covid-19 (notamment celles existantes en Chine), sont source d’une instabilité pouvant affecter les rapports contractuels.
Dès lors, à l’effet d’assurer la continuité de leurs relations et de préserver leurs intérêts respectifs, les parties sont parfois forcées de renégocier les termes et conditions d’exécution du contrat initialement convenus. Or, en l’absence de reconnaissance de la théorie de l’imprévision en droit marocain et en l’absence de clause de révision (i), cette renégociation peut s’avérer parfois difficile et présuppose, à tout le moins, le consentement préalable de chacune des parties (ii).
Principe de la force obligatoire des contrats
Le droit des contrats marocain repose sur le principe de la force obligatoire des contrats. A ce titre, l’article 230 du Dahir des Obligations et des Contrats (le « DOC ») dispose que : « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi ».
Ce principe repose sur le fait que les parties à un contrat s’accordent sur les termes et conditions d’exécution de ce dernier. Une fois ces termes et conditions formalisées, chaque contractant est tenu de respecter ses engagements contractuels. Dès lors, les parties à un contrat ne sont autorisées à modifier le champ ou l’étendue de leurs obligations contractuelles que si elles y consentent (notamment par le biais d’un avenant) ou si ce dernier le prévoit expressément, à travers une clause de révision spécifique.
Le consentement des parties peut être matérialisé ab initio au moment de la conclusion du contrat, mais également postérieurement. A cet égard, la Cour de cassation a précisé que « la signature du procès-verbal de réception définitive sans réserve sur la révision du prix des travaux supplémentaires hors marché, lorsque lesdits travaux ont été réalisés avant sa signature, rend ce procès-verbal opposable aux parties » (Cour de cassation, Chambre administrative, 8 décembre 2016, n°790/2). En l’espèce, la Cour considère que la signature du procès-verbal prouve que les parties ont convenu de réviser les stipulations du contrat qui les lie. Les travaux supplémentaires et le prix révisé ont donc été expressément consentis, et doivent être rendus opposables aux co-contractants.
Par ailleurs, contrairement au droit privé français qui, depuis la réforme du droit des contrats intervenue en 2016, admet la révision du contrat lorsque survient un (x) changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion de la convention, (y) rendant son exécution excessivement onéreuse, (z) pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, le législateur marocain n’a pas encore consacré la théorie de l’imprévision. En effet, en droit marocain, aucune disposition spécifique permettant ou fixant les modalités de révision d’un contrat n’est prévue.
Toutefois, à l’effet de parer toute difficulté, les parties peuvent avoir recours à des mécanismes contractuels leur permettant de procéder, en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, à la révision de leurs accords initiaux.
Il en est ainsi des clauses dites de révision (qui peuvent prendre la forme de clauses d’indexation ou de clause de « hardship »). Ces clauses permettent, selon le cas, soit une modification automatique du contrat (il en est ainsi de la clause d’indexation), sans qu’il ne soit nécessaire pour les parties d’engager des négociations ou de modifier le contrat par avenant, soit une renégociation des termes du contrat (dans l’hypothèse d’une clause de hardship).
La révision judiciaire du contrat a également été admise par la jurisprudence. Dans un arrêt du
5 mars 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que « le contrat par lequel les parties se sont engagées à acheter les travaux d’installation de pipelines dans les délais contractuels déterminés par des stipulations déjà entrées en vigueur, mais qui se sont confrontées à l’indisponibilité des pipelines pour l’exécution des travaux, peut autoriser la Cour à modifier ledit contrat pour étendre les délais, même en l’absence de stipulation par les parties de la possibilité de la révision du contrat, pour éviter de résilier le contrat » (Cour de cassation, Chambre commerciale, 5 mars 2020, n°119/2020). Le juge peut ainsi réviser les termes du contrat lorsque les conditions d’exécution de ce dernier ont changé, en raison d’un fait indépendant de la volonté des parties.
Renégociation amiable des conventions
En dehors des clauses libératoires ou exonératoires de responsabilité permettant au co-contractant concerné de se désengager totalement ou partiellement de ses engagements contractuels (force majeure notamment), et tendant généralement à la résiliation totale ou partielle, voire à la suspension, dans certains cas, des conventions, les parties soucieuses du maintien de leurs relations contractuelles n’ont d’autres choix que de passer par la voie de la négociation amiable pour réviser les termes de leurs accords initiaux. Cette révision est ensuite formalisée à travers la conclusion d’un avenant signé par les parties.
En effet, comme indiqué ci-avant, la révision du contrat est admise lorsqu’elle est expressément convenue par les parties, dans les cas prévus par la loi et lorsqu’elle est prononcée par le juge.
En l’absence de clause de révision, c’est aux parties d’engager, sur une base amiable, une renégociation adéquate et nécessaire à la prospérité des relations qu’elles entretiennent.
La renégociation du contrat doit néanmoins être fondée sur le principe d’équité et de bonne foi. L’article 231 du DOC dispose en effet que : « tout engagement doit être exécuté de bonne foi et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature ».
Il est vain de tenter de rééquilibrer un contrat lorsque la renégociation ne satisfait pas cette exigence. En effet, le but même de cette renégociation est de préserver les intérêts respectifs des co-contractants et d’adapter les conditions d’exécution du contrat aux circonstances économiques actuelles.
Ceci étant dit, en pratique, force est de constater, qu’en l’absence de clauses de révision ou d’imprévision, cette renégociation amiable ne s’avère pas souvent aisée, les parties s’engageant, dans ce cas, dans un véritable bras de fer pour tenter de préserver leurs intérêts propres.
Ainsi, et à l’effet de limiter le risque de litige et les aléas judiciaires, il est fort souhaitable que les parties prennent le soin, en amont de la conclusion d’une convention, d’intégrer des clauses de révision, et veillent particulièrement à leur rédaction.
L’insertion d’une clause de médiation peut être également utile dans ce contexte et contribuer à faciliter une renégociation de leurs accords. A ce titre, la loi n° 95.17 relative à l’arbitrage et à la médiation conventionnelle, publiée au bulletin officiel du 13 juin 2022, inclut des dispositions spécifiques permettant aux parties de recourir, sous réserve des dispositions des articles 1099 à 1104 du DOC, à la médiation comme modalité de règlement des différends et la possibilité de désigner un médiateur afin de régler un différend survenu ou susceptible de survenir ultérieurement.
Sources :
- Dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant Code des obligations et des contrats.
- Dahir n°1-22-34 du 23 chaoual 1443 (24 mai 2022) portant promulgation de la loi n°95-17 relative à l’arbitrage et à la médiation conventionnelle.
- Ahlam BOUTAYBI et Karim ZAOUACQ, « Temps de crise : la renégociation amiable des contrats au Maroc et dans les pays de l’OHADA », Revue du droit des affaires en Afrique, Regard Juillet 2020, n°2.
- Younes OUBEJJA, « Théorie de l’imprévision à l’épreuve de la pandémie de Covid 19 », Maroc diplomatique, 26 mai 2020.
Rédigé par Ali Bougrine, Rim Tazi et Oumnia Benkirane.