La société par actions simplifiée au Maroc : enjeux et bilan près de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi n°19-20

Face à l’émergence de nouveaux acteurs (start-up, multiplication des PME etc.) et l’évolution du paysage économique marocain, la modification des règles de la société anonyme simplifiée, entre société anonyme et société à responsabilité limitée, était devenue une nécessité. Le plus souvent utilisée pour des joint-ventures entre sociétés marocaine et étrangère, il faut reconnaître que la société anonyme simplifiée avait peiné à convaincre le plus grand nombre au Maroc, face à l’omniprésence de la société à responsabilité limitée (près de 780 000 sociétés sur un total de 830 000 sociétés sont immatriculées dans le Royaume sous forme de société à responsabilité limitée[1]).

En cause, la persistance de certaines contraintes juridiques qui ne simplifiaient pas totalement le fonctionnement de la société :

  • la société anonyme simplifiée était tout d’abord réservée aux seuls actionnaires personnes morales, avec deux actionnaires minimums, lesquels devaient posséder chacun un capital minimum de deux millions de dirhams ou sa contrevaleur en devise ;
  • le représentant légal de la société anonyme simplifiée était nécessairement une personne physique, ce qui, sans être véritablement rédhibitoire, constitue une contrainte pour les grands groupes, notamment, qui préfèrent désigner des personnes morales comme dirigeant pour simplifier leur gouvernance internationale ; et
  • la société devait être constituée avec un capital social minimum de 300 000 dirhams, ce qui restreignait l’usage de la société anonyme simplifiée à des projets nécessitant un certain niveau de capitaux propres.

C’est dans ce contexte que la loi n°19-20, promulguée par le dahir n°1-21-75 du 14 juillet 2021, a supprimé la société anonyme simplifiée et instauré la « société par actions simplifiée » (« SAS ») largement inspirée de son homologue française.

Cette avancée a été unanimement saluée par les praticiens du droit, satisfaits de pouvoir enfin disposer d’une forme sociale versatile, aussi bien adaptée à un entrepreneur marocain qu’à une joint-venture internationale.

En effet, le nouveau régime de la SAS résout l’ensemble des contraintes de l’ancienne société anonyme simplifiée : plus de capital social minimum, possibilité d’immatriculer une société à associé unique (sans condition de capitalisation pour ledit associé), possibilité de désigner des dirigeants personnes morales et totale liberté d’organisation de la gouvernance de la société par les statuts.

Près de deux ans après la promulgation de la loi n°19-20, quel bilan pour la SAS ?

Bien qu’aucune statistique ne soit disponible sur le nombre de sociétés par actions simplifiées immatriculées depuis l’entrée en vigueur de la loi n°19-20, nous constatons toutefois en pratique que la plupart des groupes internationaux privilégient aujourd’hui la société par actions simplifiée pour leur implantation au Maroc et ce, quelle que soit la configuration de leur implantation.

Tout d’abord, pour une implantation en greenfield avec une filiale détenue à 100%, la SAS peut refléter dans ses statuts des règles propres à la politique du groupe : clauses limitatives de pouvoirs pour le président, procédures particulières pour l’approbation de certaines décisions, existence de certains comités thématiques (RSE, conformité, investissements, etc.). Ces règles pouvaient exister auparavant dans un pacte d’actionnaires, en dehors des statuts, mais avec un inconvénient de taille : en droit, l’article 11 de la loi n°17-95 dispose qu’entre actionnaires, aucun moyen de preuve n’est admis contre le contenu des statuts, ce qui revient à dire que la portée d’un pacte d’actionnaires dont le contenu déroge aux statuts est inopposable dans le cadre d’un conflit entre actionnaires.

En outre, dans un contexte de joint-venture, les associés d’une SAS peuvent organiser une gouvernance structurée autour d’organes collégiaux, tels que des comités d’audits, des comités stratégiques ou financiers. Ces comités, dont les membres n’ont pas la qualité de dirigeants, peuvent assurer des missions de contrôle sur l’action et les décisions des dirigeants et offrent, outre la mise en place de contre-pouvoirs internes, de multiples avantages :

  • d’une part, les statuts organisant leur fonctionnement librement, les procédures peuvent être très souples (consultations par simple emails, visio, délai de convocation ou de prévenance limité, etc.) ;
  • d’autre part, contrairement aux membres du conseil d’administration dans une société anonyme, les membres de comités statutaires ne sont pas tenus de détenir des titres de la société, ce qui simplifie la gestion de l’actionnariat ;
  • enfin, le représentant légal étant généralement désigné par l’associé local, l’existence de comités chargés de contrôler son action et/ou d’autoriser la conclusion de certains actes permet de sécuriser la gouvernance de la société pour l’associé étranger sans qu’il soit besoin pour ce dernier de détenir un mandat social dans la société et d’encourir la responsabilité associée.

Enfin, la SAS étant une société par actions, elle permet l’émission de valeurs mobilières composées, c’est-à-dire des valeurs mobilières donnant accès au capital social ou donnant droit à l’attribution d’un titre de créances, telles que des obligations convertibles en actions (OCA), des bons de souscriptions d’actions (BSA) ou encore des obligations à bon de souscription d’actions (OBSA).

La capacité des SAS à émettre ces valeurs mobilières composées, sans être assujettie à l’ensemble du formalisme propre aux sociétés anonymes, constitue un élément clé de la structuration de certaines opérations de capital-investissement, dans le cadre par exemple de prise de participation par des fonds d’investissements.

Dans ces opérations, les valeurs mobilières composées peuvent servir trois objectifs principaux :

  • diversifier les modalités de financement pour l’investisseur et les risques associés, en assurant un financement pour partie en equity et pour partie en dette (moins risqué mais également moins rémunérateur que le financement en equity) ;
  • sécuriser un investissement principal en equity par une capacité à reluer sa participation au capital dans certaines circonstances, via notamment des OCA ou des mécanismes de ratchet (mécanisme de protection des investisseurs par correction de la valorisation d’investissement) ; et
  • fidéliser les dirigeants / personnes-clé en leur attribuant des titres donnant accès au capital de leur société, notamment via des BSA. 

Bien que la SAS ne puisse pas faire appel public à l’épargne, cette double caractéristique – flexibilité de la gouvernance et capacité à émettre des valeurs mobilière composées – fait ainsi de la SAS un véhicule d’investissement particulièrement utile pour entrepreneurs et investisseurs.

Malgré ses avantages, quelques difficultés techniques relatives à la mise en place des SAS au Maroc demeurent.

La première, juridique, tient dans l’incertitude concernant le statut des sociétés anonymes simplifiées déjà immatriculées au moment de l’entrée en vigueur de la loi n°19-20. Les dispositions de la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes simplifiées ayant été abrogées [2] par la loi n°19-20 sans mesures transitoires, celles-ci n’ont, en droit, plus aucune base légale, de sorte que le statut de ces sociétés, ainsi que la validité des actes sociaux qu’elles adoptent depuis l’entrée en vigueur de la loi n°19-20 restent incertaine. Face à ce hiatus, la pratique a toutefois rapidement tranché en faveur d’une solution pragmatique, consistant à transformer formellement ces sociétés anonymes simplifiées en sociétés par actions simplifiées.

Une deuxième difficulté, plus prosaïque, tient dans le fait que de nombreuses administrations n’ont toujours pas mis jour leurs systèmes d’information et ne peuvent donc émettre certains documents au profit d’une ‘société par actions simplifiées’, la forme sociale n’étant pas reconnue sur le système : à titre d’illustration, le baromètre DirectInfo alimenté par l’OMPIC comprend uniquement des statistiques relatives aux sociétés à responsabilité limitée et sociétés anonymes[3]. Nul doute que ces soucis pratiques trouveront une résolution rapide. 

S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une difficulté, on notera enfin le fait que le décret relatif aux seuils de chiffres d’affaires au-delà duquel la nomination d’un commissaire aux comptes est requise dans les SAS n’est toujours pas paru, ce qui est regrettable sur le plan de l’exhaustivité du régime des SAS mais évidemment parfaitement indolore pour toutes les sociétés concernées. Restent que celles-ci peuvent dans tous les cas choisir de nommer un commissaire aux comptes.

En conclusion, la SAS convainc la plupart des praticiens sur le fond et la forme, il lui reste dorénavant à convaincre la masse des créateurs d’entreprise : par comparaison, en 2021 en France, 65% des créations de société concernaient des SAS[4].

Rédigé par Ali Bougrine, Fabien Gagnerot et Sarah Akouz.


[1] http://barometre.directinfo.ma (dernière visite le 20 mars 2023)

[2] Titre XV de la loi 17-95 de la société anonyme simplifiée

[3] http://barometre.directinfo.ma (dernière visite le 20 mars 2023)

[4] https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/details/60_ETP/1.61_DCE/61C_Figure3 (dernière visite le 20 mars 2023)